1.5.06

Croisement de rues

La rue Pasteur vient s’écraser contre la rue de la Banque. Ecole primaire. Elle est là, comme chaque matin, avec son panneau stop et son gilet jaune. Elle se jette sous les roues des voitures pour les faire s’arrêter et que les gosses de l’école puissent traverser tranquilles. Ils l’appellent « la mongole », j’ai entendu plusieurs fois des gosses rire un peu plus loin en la montrant du doigt. Elle, pas finie faut bien l’admettre, porte sur le visage l’idée qu’elle sera toujours la demeurée du lot. La Direction de l'école, bien obligée de lui trouver quelque chose à faire, l'oblige à rester plantée à ce carrefour, sous le cagnard, la pluie, la neige, quelque soit le degré de difficulté à se tenir debout, avec en tête les ordres qu’on lui a donnés, « arrêter les voitures pour que les enfants puissent traverser ». Elle brandit sa pancarte rouge comme un sceptre qui lui donne autorité, ne réalise pas que c'est son corps sur la route qui oblige au freinage. J’en profite chaque fois pour me glisser dans le flot des marmots qui traverse rapidement la route, et dont elle connaît chacune des têtes, chacun des prénoms. Elle se balance inlassablement sous les roues à s’en faire insulter, sans vraiment mesurer le risque pour elle de croiser le chemin de conducteurs jamais bien réveillés. Souvent ça crie « connasse ! », par peur de l’avoir vu surgir si vite, d’avoir faillit la renverser. Elle s’en moque, elle sourit, n’a pas les armes nécessaires, dit bonjour à chaque enfant en haussant la voix, pour les empêcher d’entendre ce qu’elle appelle les vilains mots. Son mental engourdi, comme une sorte de courage permanent qui englue les neurones, ne semble pas réaliser la dose d’abnégation dont elle use pour porter le quotidien. Et faut voir le respect que ça suscite chaque matin de la voir essayer quand même, malgré son handicap et ce que les autres font d’elle, d’explorer une belle vie, de vouloir sa place au soleil. Chaque jour elle se tient droite, fière d’accomplir un truc, et j’aime à la croiser, cette inconnue au gilet jaune. Je ne connais pas son nom, pour elle je ne fais que passer...

Antoine Dole